Eau potable et hydrocarbures – «Québec improvise», disent des scientifiques indépendants

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Quelques-uns parmi les 960 forages recensés au Québec depuis 1860. Carte réalisée par Jean-Hugues Roy pour le quotidien Le Devoir (16 février 2016). Remarquez ceux réalisés à l’île d’Orléans: l’un à Sainte-Famille, par la Canadian Pacifique Oil & Gaz Ltd, en 1971 (avec mention «indices de gaz»); l’autre à Saint-François, par la SOQIP, en 1975.

 

Dans une chronique antérieure (septembre 2014), nous évoquions l’impuissance des municipalités à protéger convenablement l’eau potable du fait de la préséance du nouveau Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), adopté par décret par le gouvernement du Québec et entré en vigueur en août 2014. Rappelons que ce règlement se voulait une réponse (!) à ceux adoptés par la ville de Gaspé et par plus de 75 autres municipalités du Québec afin de protéger leurs sources d’eau potable dans le contexte de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures. Le RPEP avait à l’époque provoqué de sévères critiques de la part de scientifiques et d’écologistes, certains d’entre eux allant jusqu’à dire qu’il avait été taillé sur mesure pour répondre aux exigences des pétrolières.

Or voilà qu’un collectif de scientifiques indépendants[i] vient d’interpeler directement le premier ministre Couillard sur cette question. Dans leur étude de plus de 150 pages, ils «tracent un portrait détaillé des conséquences négatives prévisibles et probables qui résulteraient des forages pétroliers ou gaziers non conventionnels sur les sources d’eau potable et, plus spécifiquement, en regard des forages avec fracturation hydraulique que le consortium dirigé par Pétrolia compte réaliser à l’été 2016 sur l’île d’Anticosti[ii]». Après analyse du règlement et d’une abondante littérature scientifique, les auteurs en arrivent aux conclusions suivantes:

  • Les municipalités perdent tout contrôle sur les puisements d’eau réalisés sur leur territoire si ces puisements d’eau sont réalisés par des compagnies gazières et pétrolières.
  • Les distances séparatrices prévues au RPEP sont largement insuffisantes pour assurer une protection adéquate des sources d’eau.
  • La caractérisation du territoire du point de vue de ses ressources en eau potable, exigée par le RPEP, et le suivi nécessaire après l’usage de la fracturation ne permettent pas d’établir les responsabilités des sociétés qui, de façon vraisemblable et probable, causeront la contamination des eaux souterraines.
  • Les responsabilités confiées aux professionnels chargés de guider les compagnies gazières et pétrolières lors des forages sont impossibles à rencontrer et ne constituent aucune protection réelle des sources d’eau des communautés.

Cette intervention, peu répercutée par les médias, vient pourtant en renfort à la position du premier ministre sur l’exploration des hydrocarbures à l’île d’Anticosti, position que certains commentateurs ont un peu rapidement appelée un virage vert. Virage hésitant et limité, en effet, puisqu’il semble jusqu’ici se limiter à la protection du territoire de l’île d’Anticosti. Allez savoir pourquoi! La protection de l’eau potable en Gaspésie et à Murdochville (plusieurs projets d’exploration en cours) ne semble pas inquiéter outre mesure le premier ministre et son ministre de l’Environnement malgré les cris d’alarme venant de toutes parts et les demandes répétées de citoyens et d’élus municipaux à l’effet de revoir le RPEP et de mandater le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour mener l’évaluation de ces projets selon les règles de l’art. La réponse du ministre de l’Environnement: pas question d’accorder des dérogations aux municipalités qui réclament des règles plus sévères, même si la Loi sur la qualité de l’environnement le lui permettait. Le règlement «est l’un des […] plus sévères en Amérique du Nord, basé sur les connaissances scientifiques les plus avancées», affirme-t-il sans broncher. On le dirait sourd et seul sur son île… d’Anticosti!

Et le collectif de conclure que le Québec «se comporte comme un État pétrolier, à l’instar des États américains producteurs d’hydrocarbures, alors que la démonstration du potentiel québécois en matière d’hydrocarbures est faible, lacunaire sinon inexistante, au-delà des pronostics exagérés et intéressés des promoteurs et de leurs lobbyistes».

Agiter les grelots pour faire taire les badauds

Comment comprendre également le dépôt par le gouvernement d’une injonction pour forcer TransCanada, le promoteur du projet d’oléoduc Énergie Est, à respecter les lois et procédures du Québec en matière d’environnement? Rappelons que ce projet, en raison de son étendue pancanadienne et des énormes volumes d’hydrocarbures transportés, représente un risque de contamination de l’eau sans commune mesure avec tout ce qui s’est réalisé jusqu’ici au Québec et au Canada. Risquons une hypothèse. Las de se voir reprocher de ne pas respecter lui-même ou de ne pas faire appliquer les lois du Québec − les exemples à cet effet sont nombreux −[iii] le gouvernement, par ce geste, veut faire mentir ses détracteurs tout en se drapant des habits du défenseur de l’environnement.

Québec improvise… et fait fausse route

Mais, direz-vous, ne sommes-nous pas rendus à cet instant précis où il faut de toute urgence miser sur les énergies renouvelables? À cet instant précis où la question n’est plus de savoir comment on va transporter le pétrole (oléoducs, trains ou bateaux) ni même en chercher de nouvelles sources, mais comment on va plutôt en réduire drastiquement la consommation? À cet instant précis où la démonstration est faite que continuer sur la voie du «business as usual» mène à des modifications climatiques qui vont provoquer, entre autres, des mouvements de population plus massifs encore que ceux auxquels on assiste actuellement. À cet instant précis où il faut réorienter notre économie en dehors de la rente pétrolière… dont on connaît bien au Canada les effets délétères?

[i] Le collectif scientifique est composé de Marc Brullemans, biophysicien, Marc Durand, ingénieur en géologie, Richard E. Langelier, juriste et sociologue, Céline Marier, biologiste, et Chantal Savaria, ingénieure en géologie et hydrogéologue.

[ii] Communiqué de presse du 5 février 2016.

[iii] Jessica Nadeau, Québec bafoue sa propre loi, Le Devoir, 25 février 2016.

Alexandre Robillard, Uber rejette l’appel à respecter les lois lancé par le ministre Daoust, Le Devoir, 18 février 2016.

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