Quelques réflexions à la suite de la lettre de Julien Milot parue dans l’édition de janvier du journal Autour de l’Île.
Je dois d’abord dire que je comprends la frustration de M. Julien Milot, frustration manifestement répandue si on en juge par les démonstrations publiques plus ou moins spontanées auxquelles on assiste depuis quelque temps. Je partage aussi son inquiétude face aux conséquences sociales de l’isolement et de l’enfermement comme conséquences des nombreuses restrictions mises en œuvre pour circonscrire la pandémie de COVID-19.
Mais il ne faut pas se tromper. Si les étincelles qui ont mis récemment le feu aux poudres relèvent ici de l’obligation de vaccination des routiers, et ailleurs, de l’augmentation du prix de l’essence (les gilets jaunes), de nombreux groupes aux orientations multiples se sont greffés aux mouvements originaux. À tel point qu’on ne sait plus trop aujourd’hui les motivations profondes des participants ni, non plus, la nature exacte des revendications, à part peut-être celle de l’abandon de toutes les mesures sanitaires, portées bien haut par certains, mais complètement ignorées par d’autres.
Chose certaine, un ras-le-bol, répandu, semble-t-il, s’exprime dans ces mouvements de foule ; et il faut y répondre par un discours clair et éviter surtout de stigmatiser leurs adhérents en les assimilant tous à ceux qui professent une liberté individuelle sans limites et sans égard à l’intérêt collectif. Et ce n’est surtout pas le silence ou l’absence de réponses de certains hommes politiques qui va contribuer à assainir un climat explosif aux ingrédients de l’insatisfaction, de la colère et de l’angoisse.
Je crois, quant à moi, qu’il faut aussi perdre ce réflexe qui consiste à trouver des coupables faciles à la crise actuelle et à tirer sur tout ce qui bouge : les non-vaccinés, les scientifiques de la santé publique, un système public impuissant, etc. Et à nier, pourquoi pas, les effets positifs de plusieurs mesures sanitaires mises en œuvre depuis deux ans ; c’est ce qu’on dit sans le dire quand on promeut l’abandon de toutes les mesures sanitaires dès maintenant, ce que ne fait pas, heureusement, M. Milot.
Les non-vaccinés
Là encore, on a tendance à regrouper sous ce vocable les conspirationnistes, les antivax et autres tenants de l’anarchie. Je crois plutôt que cette catégorie est plurielle. On sait déjà par exemple qu’à l’intérieur de certaines communautés autochtones le taux de vaccination est plus bas qu’ailleurs et qu’il en est ainsi dans d’autres groupes populationnels comme les itinérants, les malades mentaux, les marginaux, les illettrés, les communautés issues de l’immigration où l’on ne maîtrise ni le français ni l’anglais, etc. ; tous groupes ayant en commun de n’être pas pleinement intégrés à la vie sociale. Viser les individus appartenant à ces groupes sous prétexte qu’ils occupent de façon disproportionnée les lits d’hôpitaux revient selon moi à se montrer sans compassion aucune pour les « damnés de la terre » et à leur faire porter la responsabilité de décennies de sous-investissements en santé.
La santé publique et les soins de santé
La santé publique porte souvent un blâme dont elle ne devrait pas soutenir seule le poids surtout si c’est pour lui attribuer la responsabilité de la déroute du système. S’il est un groupe qui devrait être soutenu et surtout convenablement financé, c’est bien celui-là en raison de l’émergence accélérée des pandémies partout dans le monde et des bouleversements climatiques qui montrent déjà leurs effets dévastateurs sur la santé publique (santé mentale notamment). C’est plutôt l’insuffisance de compétences et de personnel en santé publique et l’impréparation généralisée qui expliquent, au moins en partie, la lenteur de l’État face aux premières manifestations de l’actuelle pandémie. Dire des porte-paroles de l’organisme qu’ils ne savent rien des conséquences de leurs décisions relève davantage, selon moi, de la projection que d’un fait avéré.
Quant au système de santé, il est de plus en plus évident qu’il requiert une « refondation », celle de la participation active et démocratique des travailleurs et travailleuses qui y œuvrent, de l’allégement des structures hiérarchiques et d’un investissement public qui vise à placer les infrastructures au plus près des besoins (soins à domicile, par exemple). Il est clair qu’un coup de barre doit être donné face aux dérives actuelles du système public de santé, à savoir notamment le rapatriement du personnel de soin que diverses agences facturent à grands frais de même que le retour à l’hôpital des ressources humaines et matérielles des cliniques privées, elles aussi surfinancées par l’argent public.
Floué ou protégé ?
Les personnes pleinement vaccinées (et détentrices du passeport) bénéficient d’une très bonne protection contre le coronavirus. Celles de ce groupe qui se retrouvent malgré tout aux soins intensifs sont pour la plupart immunodéprimées. Cette protection n’est-elle pas en soi un avantage indiscutable ? On a dit du vaccin qu’il protège contre les effets les plus graves de la maladie et c’est ce qu’il fait. Ne devrait-on pas plutôt se sentir « protégé » et profiter psychologiquement de ce confort ?
Même si je reconnais les incohérences à l’intérieur de l’ensemble des restrictions sanitaires, le caractère populiste – et inutile – de certaines d’entre elles de même que l’inintelligibilité de certaines consignes, je refuse qu’on mette en cause l’idée même de ces restrictions. Imaginons ce que serait la situation en leur absence. Les entreprises privées, entre autres, seraient complètement paralysées ; ce que l’on observe actuellement à une petite échelle ne s’étendrait-il pas à toute l’économie ?
Normand Gagnon
Saint-Pierre