Les ponts de glace

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Pierre-Paul Plante

Officier de marine au long cours

L’hiver, plusieurs ponts de glace se forment entre les îles du Saint-Laurent et la terre ferme, comme à l’Île-Verte, l’Île-aux-Grues et l’île d’Orléans. En 1860, des contrats pour l’entretien des ponts de glace sont donnés à la criée, à la sortie de la grand-messe sur le parvis de l’église.

Les ponts de glace sont des liens économiques et sociaux ; sur l’île d’Orléans, à cette époque, il y avait quatre ponts de glace.

Le pont de glace le plus à l’ouest est situé à Sainte-Pétronille ; il s’étend de la rue Horatio-Walker jusqu’au boulevard Sainte-Anne, à Beauport (aujourd’hui sortie près de la Fraternité Saint-Alphonse).

Les ponts de glace se forment du 15 décembre au 1er janvier avec une semaine de froid intense, grande marée et vent faible.

On s’y rendait avec un cheval léger ou un traîneau à chien sur lequel on s’attachait pour y être plus en sécurité. On cassait d’abord la glace avec une hache pour en mesurer l’épaisseur qui devait être de 10 à 12 pouces. Ensuite, avec des conifères, petits sapins ou épinettes d’une longueur de 10 pieds, on débutait le balisage du pont de glace sur une largeur d’environ 30 pieds, permettant ainsi aux traîneaux et carrioles tirés par des chevaux d’y circuler librement.

Les insulaires se rendaient à la ville le jour du marché pour y vendre les produits de la ferme : bois de chauffage, légumes et viandes. Au passage des rencontres, on prend des nouvelles : « Tiens ! Onésime Plante va marier la dernière de ses filles, cet été. » Au retour, on achetait farine, sucre et épices, sans oublier friandises et oranges pour le temps des Fêtes. Le dimanche, assis dans une belle carriole rouge avec des briques chaudes aux pieds et des couvertures jusqu’au bout du nez, on rendait visite aux amis de la ville. Près du pont de glace, au large de Sainte-Pétronille, on coupe de gros blocs de glace qui sont transportés par des chevaux à la glacière de M. Blais. Ces glacières, isolées au bran de scie, pouvaient conserver la glace pendant près d’une année.

À l’automne 1933, le cargo Pennyworth s’échoue à Saint-Jean, prisonnier des glaces. Le navire est déchargé de sa cargaison de grains. Plusieurs insulaires y trouvent du travail. Le grain mouillé est vendu aux cultivateurs de l’île à 25 cents la poche. Le bon grain est acheté par un marchand de Québec. Traîneaux et chevaux empruntent la route des Prêtres pour se rendre sur le pont de glace de Saint-Pierre qu’on surnomme le Petit-Pré (aujourd’hui près du bureau de poste). Le grain est chargé à bord de trains à L’Ange-Gardien pour se rendre jusqu’à Québec.

Les deux autres ponts de glace étaient moins fréquentés. L’un était situé dans le bas de Saint-Pierre (près du marchand Meubles Blouin) et l’autre, plus à l’est, vis-à-vis du vieux quai de Sainte-Famille.

Le pont de glace de Québec se formait une année sur trois, toujours après celui de Sainte-Pétronille. Les prix des denrées chutaient lorsque les gens de Lévis pouvaient se rendre à Québec pour y vendre leurs produits. Cela permettait quelques activités hivernales : une belle patinoire entre Québec et Lévis, des compétitions de raquettes ainsi que des courses de chevaux et, pour se réchauffer, de petites cabanes avec poêle à bois, que l’on surnommait « les buvettes » et où l’on pouvait prendre un petit coup. Les curés de Lévis et de Québec prêchaient contre ces débits de boisson sans permis. La débâcle des ponts de glace arrivait avec les grandes marées d’avril.

L’hiver 1898 fut rigoureux, d’un froid intense. Le fleuve gela jusqu’à Saint-Michel-de-Bellechasse. Mme Émile Plante traversa sur la glace de Saint-Laurent à Saint-Michel pour rendre visite à sa sœur.

Malgré la construction du pont de l’île, en 1935, le pont de glace de Sainte-Pétronille a été entretenu jusqu’au début des années 1950 par Berthélemy Noël, puisqu’à l’époque peu de gens possédaient une automobile.

Les ponts de glace sur le Saint-Laurent occupent une grande place dans les arts visuels grâce à de grands peintres tels James Pattison Cockburn, Cornelius Krieghoff, Clarence Gagnon et plusieurs autres.

Merci à M. Jean-Paul Lachance, de Saint-Laurent ( 99 ans ) et à M. André Gagnon, de Saint-Pierre ( 83 ans ), de ne pas avoir laissé sous la glace les souvenirs de leur mémoire.

Réf : Yves Hébert. Les ponts de glace sur le Saint-Laurent.

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Cet article a été écrit par un collaborateur. Autour de l'île tient à remercier tout ceux et celles qui contribuent par leur écrits au dynamisme du journal et de son site Internet.

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