L’île et ses forêts

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Les perturbations climatiques et leurs conséquences observées – de près – actuellement nous amènent à nous interroger sur l’état des forêts de l’île d’Orléans. Quels services rendent-elles ? Quelle est leur composition ? Quelles sont leurs superficies ? En ont-elles perdu au fil des ans ? Est-il encore possible de corriger les altérations que nous jugeons dommageables ?

Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre, aidés en cela par des moyens que nous ne pouvions espérer, il y a 20 ans, comme la photographie satellitaire de haute résolution et le lidar[1], notamment. Mais avant tout, quelques savoirs consensuels sur la forêt.

N.D.L.R : Les mots ou expressions en italique dans le texte renvoient à des définitions ou à des précisions qui apparaissent dans l’encart central.

La forêt comme partenaire de la vie sur terre

Il est bien connu et admis que la forêt – avec le sol, l’air et l’eau – est un élément primordial du grand écosystème terrestre ; et qu’elle est en soi un « écosystème complexe où cohabitent et vivent en interdépendance arbres et arbustes, champignons et microorganismes divers, insectes et vertébrés[2] ».

Dans ce milieu, tout est lié et tout bouge ; les équilibres se font et se défont avec des échelles de temps très variables. Les feux de forêt, les chablis[3] et les infestations par divers parasites[4] illustrent bien cette capacité régénératrice et adaptative montrée jusqu’ici par les écosystèmes forestiers. Mais en sera-t-il de même dans l’avenir ? Rien n’est moins sûr si l’on considère les extrêmes climatiques des dernières années et les feux de forêt tout récents d’une ampleur jamais vue !

Quoi qu’il en soit, on peut envisager les forêts comme d’indispensables habitats pour la flore, la faune et la microfaune [5] et, de ce fait, être un exceptionnel réservoir de biodiversité. Les interactions entre ces différentes composantes illustrent bien leur interdépendance et les services mutuels qu’ils se rendent ; les insectes pollinisent, les oiseaux dispersent les graines, les microorganismes recyclent la matière organique et remettent en circulation les nutriments essentiels aux végétaux, etc. Et c’est sans compter sa capacité à piéger une partie du gaz carbonique de l’atmosphère (principal gaz à effet de serre, GES) via la photosynthèse des végétaux ; on dit alors qu’elle est un puits de carbone ou qu’elle séquestre le carbone. Des études récentes montrent également que le sol des forêts serait un réservoir stable et important de carbone par le biais notamment de la litière et des racines[6]. À ces indéniables contributions, il faut aussi reconnaître à la forêt un rôle de régulateur de la température et des précipitations à l’échelle locale et régionale.

L’île et ses forêts

Le territoire de l’île renferme d’importants secteurs boisés représentant autour de 40 % de sa superficie. Cette forêt – ces forêts devrait-on dire – est d’une étonnante diversité, autant par les essences trouvées que par la variété de leurs associations. Est-ce une hêtraie avec érables à sucre et érables rouges ou encore une sapinière avec épinettes blanches et feuillus ? Ces exemples n’épuisent pas les mélanges d’espèces ; ne trouve-t-on pas à Sainte-Pétronille une prucheraie avec épinettes rouges, bouleaux jaunes, hêtres à grandes feuilles et érables rouges ? Chose certaine, les résineux se font plus discrets en regard des feuillus (dominants) et les couverts mélangés sont légion. L’application cartographique en ligne ForetOuverte[7] est là pour en faire une démonstration convaincante. La carte ci-contre montre bien l’hétérogénéité et la diversité du couvert forestier.

Carte écoforestière de la pointe est de l’île d’OrléansZones-vignettes 2 BD.jpg

Source : ForêtOuverte. Adaptations infographiques de l’auteur.

Tableau 1 : Quelques exemples de peuplements forestiers sur la pointe ouest de l’Île d’Orléans

ZonesType de couvert forestierDensité du couvertHauteurClasse d’âgeEssences forestières
1Mixte à dominance de résineuxDe 80 à 89 % de couvertDe 14,3 À 15,4 mJeune peuplement inéquienneÉpinette noire (20 %), thuya occidental (20 %), mélèze laricin (10 %), sapin baumier (10 %), érable rouge (20 %), bouleau jaune (10 %), frêne noir (10 %).
2FeuilluDe 80 à 89 % de couvertDe 15,5 à 16,4 mJeune peuplement inéquienneÉrable rouge, bouleau jaune (20 %), bouleau blanc (20 %), hêtre à grandes feuilles (10 %), résineux indéterminés (10 %).
3FeuilluDe 70 à 79 % de couvertDe 22,5 à 23,4 mVieux peuplement inéquienneÉrable à sucre (40 %), hêtre à grandes feuilles (40 %), bouleau jaune (10 %),  pruche du Canada (10 %).

Sur les falaises et versants du nord s’est implantée une érablière, comme un mince ruban qui suit la côte. À l’est, la pointe d’Argentenay de Saint-François abrite une réserve naturelle (Pointe-de-la-Croix) où l’on trouve de vieux peuplements inéquiennes[8] dominés soit par l’érable à sucre, soit par le chêne rouge. Plus à l’est encore, on trouve aussi de vieilles forêts à couvert dense où dominent en plus le frêne ou la pruche du Canada[9]. Le centre de l’île, lui, loge une véritable mosaïque d’érablières qui abritent dans ses interstices une grande variété de feuillus, mais aussi de résineux. Enfin, sur la côte sud, à la manière de celle du nord, c’est l’érablière qui s’étire de Saint-François jusqu’à tout près de la limite de Saint-Laurent et de Sainte-Pétronille avec quelques interruptions de zones où l’érable est présent, mais pas dominant. À Sainte-Pétronille, c’est décidément le hêtre à grandes feuilles qui domine mais en couvert mélangé avec des feuillus tolérant à l’ombre et des érables.

Une contribution non négligeable à la captation du gaz carbonique

On l’a dit plus haut, les forêts peuvent constituer de véritables puits de carbone en piégeant le gaz carbonique (CO₂), lequel est le principal contributeur à l’effet de serre responsable du réchauffement climatique. Une question se pose alors : quel est, à l’île, le bilan net des échanges de gaz carbonique (et autres gaz à effet de serre) entre l’atmosphère et la végétation, incluant ici le couvert et les sols forestiers ? L’organisme Global Forest Wach (GFW)[10] a répondu à cette question : « De 2001 à 2022, les forêts de l’île d’Orléans ont émis en moyenne 1,57 kt éq. CO₂/an et retiré 94,5 kt éq. CO₂/an. Cela représente un puits de carbone net de 92,9 kt éq. CO₂/an ». Ce qui veut dire que les forêts de l’île séquestrent davantage de carbone qu’elles n’en émettent. Pour cadrer ce résultat, en posant l’hypothèse que les Orléanais se situent dans la moyenne canadienne relativement à l’émission de GES, la production annuelle globale de GES estimée[11] (par l’auteur) pour l’ensemble de la population de l’île en 2019, se serait située autour de 67 kt éq.CO₂ . Ces calculs bien que rudimentaires montrent néanmoins une proximité de l’ordre de grandeur entre nos émissions et la capacité forestière nette de captation.

Des pertes et des gains

Le territoire de l’île se partage entre ces forêts, les surfaces cultivées[12], les espaces habités, les commerces et les services divers. La répartition de ces usages se montre relativement stable dans le temps[13].

Tableau 2 : Superficies comparées des forêts versus celles ayant un statut agricole

Superficie totale l’Île d’Orléans (Hectares (Ha))Superficie du couvert végétal* (Ha)Superficie de la zone agricole** (Ha)Superficie de la zone exploitée** (Ha)Superficie de la zone cultivée** (Ha)
19 4588 750 (approx. 45 %)18 521 (95%)13 425 (69%)8 325 (43%)

(*) : « Le couvert végétal est défini comme l’ensemble de la végétation d’une hauteur supérieure à 5 mètres à compter de 2010. […] ».  Il correspond à « la présence biophysique des arbres et il peut prendre la forme de forêts naturelles ou de plantations existant sur une variété de densités de canopées ». Source GFW.

(**) : « Selon la définition du MAPAQ, la superficie exploitée de la zone agricole correspond à la superficie occupée par les entreprises agricoles, qu’elle soit louée ou possédée. Ceci inclut tous les espaces de la ferme (bâtiments, résidences, cultures, pâturages, chemins de ferme, boisés, cours d’eau, etc.) ». Source : Plan de développement de la zone agricole de la MRC de l’Île d’Orléans, version révisée 2023.

On observe des pertes et des gains dans la couverture forestière depuis une vingtaine d’années. Les données de GFW montrent que, de 2001 à 2022, l’île d’Orléans aurait perdu 5 ha de couverture arborée en raison des incendies et 136 ha à cause de toutes les autres pertes, telles par exemple les empiètements reliés à l’agriculture et à la sylviculture, à l’urbanisation, etc. Ces 141 hectares de forêts perdus représentent 1,6 % de la surface forestière.

Certaines de ces pertes, plus importantes, méritent d’être signalées. Nous avons arbitrairement choisi de relever celles dont la plus grande dimension se situe de 200 à 500 m ou encore dont la superficie frôle ou excède les 5 ha ; leur nombre s’élève à environ une dizaine. Elles se situent principalement au centre de l’île, à l’ouest de la route du Mitan. Des exemples tout récents montrent en effet des coupes à blanc avec essouchage de même que le creusage d’étangs d’irrigation de grandes tailles.

Quant aux gains en couverture arborée, ils sont dispersés à la manière de confettis sur l’ensemble du territoire, mais ils représentent néanmoins une superficie totale plus ou moins équivalente aux pertes. Leur dispersion, en bonne partie sur le pourtour de l’île (escarpements), et leurs superficies laissent entendre que les friches pourraient y être pour quelque chose.

Un bilan toutefois mitigé

Si les données fournies jusqu’ici, relativement aux pertes de superficie et au bilan carbone, sont plutôt rassurantes, il demeure essentiel de souligner l’effort à fournir concernant la qualité des habitats. Dans le rapport produit par le Groupe Hémisphères[14] pour la MRC de L’Île-d’Orléans dans le cadre de ses travaux sur les milieux humides, il fut souligné à plusieurs reprises la fragmentation de la forêt de l’île de même que la présence marquée des chemins forestiers. Or, le morcellement est reconnu comme un important déstabilisateur des habitats et des équilibres écologiques.

Un milieu à protéger ?

Avons-nous encore le choix de protéger les forêts et plus largement encore tous les milieux naturels ? Probablement pas. D’autant plus que de nombreux scientifiques soulèvent aujourd’hui l’hypothèse crédible que nous aurions déjà atteint le point de bascule – si redouté – au-delà duquel plus rien n’est réversible.

Encart (à placer au centre de l’article)

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POUR MIEUX S’Y RETROUVER

Cycle du carbone et réservoir de carbone

En présence d’oxygène, les animaux (dont les humains) produisent entre autres du gaz carbonique (dioxyde de carbone ou CO2). Il en va de même pour toute combustion de matériel organique (pétrole et ses dérivés, gaz, bois, etc.). Ce gaz carbonique libéré dans l’atmosphère peut y séjourner et/ou encore être assimilé par photosynthèse par les végétaux terrestres ou aquatiques et être éventuellement stocké dans leurs structures (feuilles, bois, racines, etc.). L’eau des océans absorbe elle aussi de grandes quantités de CO2 atmosphérique, soit 92 Gt/an, ce qui est plus important encore que la photosynthèse (62Gt/an). Ce phénomène de stockage, appelé aussi séquestration, assure un certain contrôle sur la teneur en CO2 de l’atmosphère. D’où l’importance de ces « puits de carbone » ou de ces « réservoirs de carbone », à savoir tout système capable d’entreposer de façon permanente ou semi-permanente le gaz carbonique, ce qui permet de minimiser la hausse de la température planétaire, car le gaz carbonique, avec quelques autres gaz, a cette fâcheuse propriété d’absorber une partie du rayonnement solaire.

Il faut savoir toutefois que les forêts peuvent par ailleurs libérer du CO2 par d’autres types de mécanismes ; celui des processus chimiques de la vie des végétaux de même que celui de l’activité microbienne des sols.

Bilan du dioxyde de carbone ou bilan carbone[15]

Le bilan du dioxyde de carbone terrestre se calcule en soustrayant labsorption du dioxyde de carbone par les océans et les systèmes terrestres des émissions de gaz carbonique provenant de la respiration et de l’ensemble des activités humaines. Depuis le début de l’utilisation des combustibles fossiles sur une grande échelle, les concentrations atmosphériques de CO2 sont passées de 280 à plus de 390 parties par millions.

 « Une forêt est considérée comme un puits de carbone si elle absorbe davantage de dioxyde de carbone dans latmosphère quelle nen rejette. La photosynthèse est le mécanisme qui contribue à labsorption du dioxyde de carbone de latmosphère […].  Cette dynamique émission-absorption est complexe et variable. La tendance actuelle va dans le sens d’un bilan négatif en raison des feux de forêt et des infestations d’insectes.

Le bilan GES (flux) s’exprime habituellement en kt éq. CO₂/an (kilotonne équivalent CO2 par an), ou en multiples (mégatonnes (Mt) ou gigatonnes (Gt)), qu’il s’agisse du CO2 ou de tout autre gaz à effet de serre comme le méthane (CH4) ou l’oxyde de diazote (N2O) par exemple.


[1] Appareil analogue à un radar qui utilise l’émission et la réflexion d’un faisceau laser.

[2] https://biodiversite-foret.fr/lecosysteme-de-la-foret/

[3] Phénomène par lequel un arbre ou un groupe d’arbres sont abattus par le vent.

[4] Pensons aux infestations périodiques de la tordeuse des bourgeons de l’épinette et, plus récemment, l’invasion vers le nord du scarabée japonais.

[5] Ce terme est employé ici pour désigner les animaux de très petite taille (◁ que 0,2 mm) qui vivent dans un milieu donné.

[6] Cindy E. Prescott, Sue J. Grayston, TAMM review: Continuous root forestry—Living roots sustain the belowground ecosystem and soil carbon in managed forests, Forest Ecology and Management, Volume 532, 2023, 120848.

[7]Source: Forêt Ouverte, cartes écoforestières. À l’adresse foretouverte.gouv.qc.ca.

[8] Qui renferme des représentants de tous les groupes d’âge.

[9] Source : idem note 7.

[10]Organisme qui intègre des jeux de données issus de recherches universitaires concernant le couvert forestier sur l’ensemble de la planète. Ces données sont disponibles en ligne à l’adresse https://www.globalforestwatch.org .

[11] À partir de données populationnelles de Statistique Canada.

[12] Source : Plan de développement de la zone agricole de la MRC de l’Île d’Orléans, version révisée 2023.

[13] Source : Schéma d’aménagement de la MRC de l’Île d’Orléans.

[14] Groupe Hémisphères, Caractérisation environnementale – Portrait global des milieux humides et hydriques sur le territoire de la MRC de l’Île d’Orléans. 21 décembre 2020.

[15] Source : Les forêts : une force stabilisante pour le climat, Conseil canadien des ministres des forêts. En ligne à l’adresse : https://www.ccmf.org/la-conscience-climatique/les-forets-une-force-stabilisante-pour-le-climat/. Page consultée le 16 août 2023.

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