Je pense comme feu Serge Bouchard, anthropologue, que c’est le « boute du boute » quand on souhaite cacher des mots qui font partie du vocabulaire de notre histoire. C’est le titre choc de l’un des chapitres de son livre publié à titre posthume, La prière de l’épinette noire. Partisane de la vérité, je suis d’avis que faire fi des mots, c’est se soustraire à la réalité du passé. De plus, cela ne mène à rien.
Je m’explique, car je ne suis pas la seule à voir que la censure est de retour avec un grand C. On marche sur des œufs quand on parle ou on écrit. Je n’adhère pas, bien sûr, aux mots dégradants, irrespectueux qui briment la dignité des gens ou qui les font souffrir. Mais de là à ne plus prononcer et même exclure certains mots qui font partie de livres d’histoire ou de romans anciens comme certains aimeraient le faire il y a quand même des limites ! C’est perdre contact avec notre histoire et même la renier d’une certaine façon. Cela n’est pas sans rappeler la mise de livres à l’index, de 1920 à 1940, et le bureau de la censure créé sous le règne de Duplessis 10 ans plus tard.
Des exemples
Prenons l’exemple du mot Autochtone qui a souvent changé de nom. Autrefois, en parlant de lui, on l’appelait le Sauvage. En 1950, c’était l’Indien, en 1970, l’Amérindien, depuis 1980 l’Autochtone et, maintenant, les Premières Nations. Mais si on se remet dans le contexte, certains mots écrits et rapportés par des auteurs n’étaient pas nécessairement dits dans le mépris, mais avec de bonnes intentions.
L’autre exemple sensible qui est mal vu actuellement est le mot vieux ou vieille. Il faut maintenant parler des aînés ou des gens du 3e âge. Or, Janette Bertrand ose l’écrire dans son livre La vieillesse vue par une vraie vieille (2016).
Et que dire du mot en « n », moi qui n’aie jamais utilisé ce mot en parlant des Noirs. Une professeure de l’Université d’Ottawa en a payé le prix dans le cadre d’un de ses cours. Elle avait été suspendue par la direction parce qu’elle avait prononcé le mot dans un contexte pourtant purement pédagogique. Des professeurs d’université l’avaient d’ailleurs appuyée dans un texte paru dans Le Devoir, en 2020 : « On ne s’attaque pas au problème du racisme en punissant et en interdisant l’enseignement des mots, des œuvres et des auteurs qui, au contraire, le révèlent et le combattent explicitement ». Et, j’ajoute, les mots dans les écrits permettent de réfléchir et d’apprendre de nos erreurs.
Est-ce juste l’émotion qui doit dicter la limite de la liberté d’expression ?
Je ne puis terminer cette chronique sans parler également du genre homme ⁄ femme qui soulève d’autres réactions. Des groupes de personnes s’élèvent contre le fait de s’identifier selon son sexe même si cette tendance du non-binaire ou non-genré est minoritaire. Je n’ai rien contre ! Mais de là à supprimer la catégorie Prix de la meilleure actrice et du meilleur acteur pour éviter les distinctions du genre féminin et masculin c’est quand même particulier… Le terme va être changé pour un terme plus neutre, semble-t-il. Jean-François Lisée, dans sa chronique Au nom des hommes et des femmes dans Le Devoir du 29 décembre 2022, en parle et le dénonce. Ça ne se dit plus, paraît-il ! Comme M. Lisée, je n’y adhère pas !
Décidément, la censure des mots semble prendre de l’ampleur un peu partout ! Si c’est ça le progrès, je ne suis plus dans le coup !
Sources :
BOUCHARD, Serge (2022), La prière de l’épinette noire, Québec, Boréal.
Lisée, J.-F., Au nom des hommes et des femmes, Le Devoir, 29 décembre 2022
https://www.droit–inc.com/article27587-Le–mot–en–n–censure–ou–respect–de–la–sensibilite ;Une histoire censurée | La Presse.
Enseigner dans le champ miné de l’arbitraire | Le Devoir.
La censure du cinéma au Québec… jusqu‘en 1967 | Radio–Canada.ca