Le point sur les hydrocarbures – La raison et les intérêts

2

carte

Au moment où, quasi unanimement, la communauté scientifique appelle à l’urgence d’agir devant la montée fulgurante des gaz à effets de serre (GES), le Canada soutient fermement quant à lui un développement accéléré de la filière des sables bitumineux, comme en témoignent les grands projets d’infrastructures d’exportation.

Le 8 janvier dernier, des chercheurs britanniques publiaient dans la revue Nature[i] un article dans lequel ils affirmaient qu’un tiers de nos réserves de pétrole, la moitié de nos réserves de gaz et plus de 80% de nos réserves de charbon devraient rester sous terre pour atteindre l’objectif de maintenir à moins de 2°C la hausse de la température planétaire. On rappellera que cette limite est celle au-dessous de laquelle les perturbations climatiques resteront «gérables». Les mêmes chercheurs estiment que pour respecter cette exigence, «l’exploitation minière à ciel ouvert de bitumes naturels, au Canada, devrait bientôt tomber à des niveaux négligeables après 2020 dans tous les scénarios parce qu’il est beaucoup moins économique que les autres procédés de production. […]. Près de 99% de notre estimation de ses ressources (640 milliards de barils) serait non utilisable», ajoutent-ils. De son côté, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soutient dans son plus récent rapport que notre «budget carbone», c’est-à-dire la quantité de carbone que nous pouvons encore rejeter dans l’atmosphère tout en restant sous la limite des 2° C de réchauffement à la fin du siècle, s’amenuise, car notre rythme d’émission de GES ne cesse d’augmenter (production d’énergie et bâtiment) en même temps que s’accélère la déforestation. À cela s’ajoute le cri d’alarme de l’Organisation météorologique mondiale qui, dans son dernier bulletin annuel, révèle que le taux d’accroissement du CO2 atmosphérique (principal gaz à effet de serre) entre 2012 et 2013 représente la plus forte augmentation interannuelle de la période 1984-2013. Et ce ne sont là que les alertes toutes récentes qui s’ajoutent à celles, nombreuses et insistantes, émises au cours de la dernière décennie.

Des projets fortement contestés

Sourde à ces avertissements, l’industrie pétrolière du Canada entend doubler sa production d’ici 2020 et fonce tête baissée dans de grands projets d’infrastructures de distribution du pétrole bitumineux de l’Alberta: Northern Gateway (vers la Colombie-Britannique), Trans Mountain (vers Burnaby, près de Vancouver), Ligne 9 d’Enbridge (Sarnia-Montréal), Énergie Est (vers Cacouna et Saint-Jean, N.B.), Keystone XL (vers les É.U.). L’industrie lorgne également du côté de l’Arctique pour construire un oléoduc vers la mer de Beaufort et y exploiter également des gisements extracôtiers. Tous ces projets sont fortement contestés, devant les tribunaux ou autrement, soit par les autorités locales ou provinciales, soit par des groupes environnementaux, autochtones ou de citoyens; ils le sont pour des raisons de santé et de sécurité publique, de protection de l’environnement et d’impacts économiques délétères à long terme.

En ce qui concerne le Québec particulièrement, le projet Énergie Est de TransCanada pose problème en raison notamment du fait que l’oléoduc va devoir traverser une trentaine de cours d’eau dans des secteurs sensibles aux glissements de terrain. La firme Golder Associates, qui a mené une étude sur le sujet, avance «que l’intégrité du pipeline, qui transportera 1,1 million de barils de brut par jour, pourrait être menacée par l’instabilité des sols[ii]». Et comme si ce n’était pas assez, une autre firme, Entec, conclut que la traversée de certaines rivières comme l’Etchemin et l’Outaouais, est techniquement infaisable. Ce même projet prévoit aussi la construction d’une vaste infrastructure portuaire d’exportation à Cacouna, au cœur d’un l’habitat indispensable à la survie du béluga. Mais à la suite de la recommandation du comité sur la situation des espèces en péril au Canada, selon lequel le béluga devrait être reconnu comme une espèce en voie de disparition – statut qui lui confère des mesures de protection exceptionnelles – le projet portuaire est sur la glace. Ce dossier a par ailleurs mis en évidence les graves lacunes du processus décisionnel du ministre de l’Environnement qui a finalement accordé son autorisation au projet. Dans un jugement rendu par la juge Claudine Roy de la cour supérieure, on peut lire «qu’aucun des représentants du ministre ayant travaillé sur le dossier ne connaît les mammifères marins. Ils ne jugent pas utile de consulter le Comité sur le rétablissement du béluga, alors qu’il s’agit d’une espèce menacée»… et d’ajouter qu’elle ne comprend pas le revirement de la position du ministre qui, après avoir demandé sans résultat un avis scientifique à TransCanada, «change sa position et signe le certificat d’autorisation. Rien dans la preuve, actuellement, n’explique ce revirement de situation»[iii].

Rappelons au passage que pour faire accepter son projet, TransCanada n’hésite pas à utiliser des tactiques visant à jeter le discrédit sur les opposants. On peut lire dans la stratégie de communication de cette entreprise: «Nous allons travailler avec de tierces parties et les armer avec l’information dont elles ont besoin pour mettre de la pression sur nos opposants et les distraire de leur mission […] Nous pouvons [les] enrôler afin d’écrire dans les pages d’opinion des journaux ou des blogues[iv] » et d’ajouter qu’il est convenu de mener des recherches fouillées en colligeant toutes les informations financières ou judiciaires susceptibles de nuire aux groupes tels le Conseil des Canadiens, Équiterre, la Fondation David Suzuki, etc.

En ce qui concerne le projet d’exploitation du pétrole dans le golfe Saint-Laurent (gisement Old Harry), même si le promoteur Corridor Resources tente de rassurer la population en affirmant qu’une éventuelle fuite de pétrole se dégraderait avant d’atteindre les côtes, les simulations de trois chercheurs de l’Université du Québec à Rimouski montrent au contraire qu’advenant un déversement la nappe de pétrole atteindrait après une centaine de jours les côtes de Terre-Neuve, de l’île du Cap-Breton et des Îles-de-la-Madeleine et d’Anticosti[v].

Qui l’emportera dans cette guerre de tranchées? La raison ou les intérêts?

[i] McGlade et Ekins, The geographical distribution of fossil fuels unused when limiting global warming to 2° C, Nature, 8 janvier 2015.

[ii] Alexandre Shields, 20 rivières posent un risque majeur, Le Devoir, 11 décembre 2014.

[iii] Alexandre Shields, La cour fait cesser les forages à Cacouna, Le Devoir, 24 septembre 2014.

[iv] Thomas Gerbet, Fuite majeure de la stratégie de TransCanada, Le Devoir, 18 novembre 2014.

[v] Dominique Forget, Pétrole à haut risque, Québec Science, janvier 2015.

Share.

About Author

2 commentaires

  1. Voici un résumé essentiel sur la question. À souhaiter que cela fasse jaser et surtout agir dans les chaumières. Je ne peux que vous inviter à continuer de vous informer; à prendre position; à questionner votre propore consommation d’hydrocarbures puisque les intérêts des uns reposent sur la consommation des autres !
    Merci M. Gagnon

Leave A Reply